Textes écrits au fil du temps, Mireille Pioche
J’aime laisser venir des mots de chair et d’os, aux enveloppes douces et aux textures craquantes.
J’aime les mots qui dansent avec la pesanteur, mots de plomb, sur le papier, devenus plumes, ou limaille à disperser aux vents.
J’aime les mots du coeur venus des couches profondes, porteurs d’une géologie des températures.
J’aime les mots du corps comme forces en présence, dans l’immédiateté des cellules, la direction des fluides, l’épaisseur du mouvement. Incarnation.
J’aime la façon dont les mots font résonner le silence qu’ils n’occupent pas.
J’aime adresser les mots, et j’aime qu’ils me soient adressés.
CALLING
Toute honte bue
Territoire hanté par les songes
Le hasard écarquille les yeux
Habillé en vieille femme nue.
Je la regarde depuis le centre de ma poitrine
Ses lèvres se plissent ; entre elles se glissent
Des sons.
Elle m’appelle, épelle une à une les lettres de mon nom.
J’arrive en haut des marches de l’église
Où l’on expose les nouveaux nés non destinés.
La porte, dans son ovale, me fait signe d’entrer.
Sur le seuil se délivrent les images bloquées,
Dans l’espace leurs couleurs craquantes ou liquides s’évaporent,
La résistance fond. L’axe des pôles se courbe,
jusqu’à former un cercle dans lequel je respire
une odeur de lilas frais.
L’arche obscure , où les pensées familières viennent pleurer, palpite devant moi,
Enseigne lumineuse au message évident
Je dévie mon axe, le rend à plus fort que lui
Traverse l’ombre.
C’est le soir. Dense, le noir
Danse
L’attente immobile bruissant
Entièrement
M’enveloppe.
Longtemps ou toujours.
Un jour, de cette cape, émerge un fil noueux au ton plus clair.
Ma main prend son envol et cueille sur le sol
Froid
Son extrémité .
Mon corps se plie à la manœuvre, et suit la ligne mouvante,
dont son salut dépend.
Le fil plonge dans la nuit
Je ne suis que là où je le suis.
Avec certitude mes pieds se posent où il n’y a pas de sol.
Chaque pas au dessus du vide est un acte de foi.
Je peux courir maintenant,
j’ai compris, qu’il suffit que je me laisse mouvoir
Sous la course du jour qui n’en finit pas de tourner autour
Mon corps dans le grand corps
Entre l’eau et le ciel portant chacun leurs dérives,
Cloud woman, navire d’écume,
Les faux pas n’existent pas.
CECITE
Une odeur de terre de bruyère est apparue tout à coup, au moment où nul ne l’attendait.
Les esprits étaient tournés vers le ciel, à quêter, guetter on ne sait quel signe annonciateur d’un futur qui ne tarderait pas à se manifester. Si pressés par l’attente, comme suspendus à un vilain crochet…
Ils s’usaient les yeux, devenaient progressivement aveugles à tout ce qui les entourait. Leurs membres les portaient sans qu’ils s’en rendent compte. Sur quoi leurs pieds étaient posés ? Ils ne s’en souciaient guère. Rien n’existait pour eux ici en bas.
Rien n’existait non plus là haut. Les nuées déchirantes, fulgurantes, percées de rayons violets, ne se révélaient pas à leurs yeux grévés. Seule l’attente existait, les coupant de la vie jour après jour, aussi sûrement qu’un mauvais poison d’avril.
décembre 2016
NAISSANCE
Sur la mer vermeille,
La huitième merveille du monde apparaît.
Elle cherche à attraper l’univers, mais il ne répond pas. Rien à faire.
Elle mange des rayons de lune, et patiente.
L’attente dure longtemps.
Et puis un jour, une nuit profonde,
Le chant lugubre du coucou l’enveloppe.
Entièrement.
De sa cape elle ne ressort plus. Couvée d’obscurité….
A un moment elle bouge, traverse à pied l’ombre,
Où des barreaux de fer résonnent.
Catacombes.
Au bout du goulet étroit sous lequel les eaux charrient des secrets, un jour
elle émerge à la lumière,
dans un espace libéré des étranglements
Aéré.
Octobre 2016